Génèse D'une Unité

Solaris VII, North Pier, 1 Juin 3051

Le combat allait s’engager dans l’arène « King of the mountain », le son caractéristique de la sirène avait fait se détourner chaque client de son verre. Les écrans géants installés un peu partout dans l’établissement envoyaient leurs lumières dans chaque recoin, les enceintes relayaient le bruit assourdissant des mechs en mouvement. « The cabin » affichait complet ce soir, le moindre tabouret avait trouvé preneur et on aurait dit que tous les mechwarriors de Solaris VII s’étaient donnés rendez-vous ici. Le patron de l’endroit, Ulton Farkhan devait se frotter les mains devant cette affluence assez inhabituelle mais le match l’était tout autant. L’annonceur présentait les deux adversaires, sa voix résonnant dans la salle, aucun doute, il était doué pour faire monter la sauce et l’excitation. Lancwen tourna son attention vers le barman en balançant un billet du bout des doigts :

_ une Anchor Original

Le barman prit le billet, remplit une pinte d’une bière aux reflets d’or et à la mousse nuageuse, la déposa sur un sous bock avant de rendre la monnaie. Lancwen empocha les quelques pièces et reporta son attention sur le tri-vid juste au moment où les battlemechs se mettaient en branle vers le haut de la montagne. Le match opposait deux écuries parmi les meilleurs de Solaris, les paris avaient dû aller bon train et des fortunes allaient changer de main ce soir, le combat allait être indécis.
Lancwen se remémora son premier match dans une arène annexe pour le compte d’une écurie minable, la victoire lui avait au moins permis de payer les réparations de son mech et les frais du mois suivant. Difficile de se faire remarquer sur cette planète lorsqu’on est une inconnue sans le sous, l’avenir était sombre.
Elle sortit de sa rêverie lorsque la salle hurla comme un seul homme, un tir de gauss avait failli déstabiliser l’un des deux opposants, le pilote parvenant in extremis à reprendre le contrôle de son mech après une glissade de quelques mètres parmi les débris qui composaient la montagne. Le match ne durerait plus longtemps. Elle vérifia son holo-comp en quête d’un nouveau contrat. A ce moment, son visage se décomposa et elle lâcha un « baka, il faut que je prévienne les autres » du bout des lèvres. Elle vida d’un trait le reste de sa pinte avant de se diriger vers la sortie impassible alors que la foule hurlait des « Death from Above » de toute part, le match retransmis se terminant en apothéose.
Le froid de la nuit la saisit dès qu’elle eut passé la lourde porte du « Cabin », une petite bruine glacée apportait une humidité des plus désagréables. Lancwen remonta son col le long de sa mâchoire et pressa le pas pour rejoindre la station de transport la plus proche. Le bruit de ses bottes résonnait dans la petite rue étroite qui menait à la station « North Pier – North Bridge ». Sur la berge, presque sous le tablier du pont datant de la starleague, un ponton menait à un bateau sans âge qui attendait son heure de départ pour rejoindre la « International Zone » et le reste de Solaris City.
Après avoir payé son billet, elle prit place à l’intérieur du ferry et essaya de mettre de l’ordre dans ses idées…

Luthien, Draconis Combine, Décembre 3047

_ Vous avez terminé vos classes Hojuhei Lancwen et vous avez formulé des vœux d’affectation…

Le regard fixe, la pose martiale, Lancwen attendait le verdict de la commission et même si son impatience était réelle, elle n’en laissait rien paraitre.

_ Affectation aux Sword Of Light : refusée, affectation aux Genyosha : refusée

Malgré sa volonté de rester impassible, le visage de Lancwen commença à se décomposer.

_ Vos demandes ayant été refusées, vous serez assignée à la milice de Dieron. Vous pouvez disposer.

Les poings serrés la jeune femme murmura :

_ Solaris…

_ Pardon ?

_ Je désire être affectée à la représentation Kurita sur Solaris.

_ Vraiment ? Vous êtes tombée si bas ?

_ Mes raisons ne regardent que moi

_ C’est cette attitude qui vous a fait échouer, Hojuhei. Votre ordre de transfert sera prêt dès demain, vous pouvez disposer.

Solaris VII, 2 Juin 3051, International Zone

Le temps était pluvieux. Un plafond nuageux bas laissait de temps à autre passer un miraculeux rayon de soleil, maigre consolation pour les commerçants présent sur la place qui profitait de ce feu de projecteur naturel pour crier leur réduction exceptionnel. En cette fin de matinée, veille de début de championnat, le marché grouillait de monde, encapuchonné, faisant apparaitre un mouvement continu tel l’eau d’un ruisseau.
De là où il était, Gabriel Espedrosa avait l’impression de reconnaitre les ondulations des ruisseaux de sa planète natale, Asturias V. Les immeubles entourant la place devenaient les arbres surplombant les rivières, les étales se transformaient en rochers, et le flot continu de personne l’eau qui s’écoulait, s’engouffrant dans le moindre espace mais en perpétuel mouvement.
Comment en était-il arrivé là, sur le toit de cet immeuble, dans cette ville bouillonnante, sur cette planète symbole de la soif de violence et berceau de trahisons en tout genre ?
Levant les yeux au ciel, il se rendit compte à quel point sa planète lui manquait.

_ Tiens, vous êtes là ! Toujours la même nostalgie à ce que je vois.

Cette voix féminine était reconnaissable entre toute. Trop de fois entendu sur l’intercom. Trop de fois en combat.
Sans se retourner, Gabriel répondit d’un air amusé

_ Et oui, on ne peut décidemment rien te cacher Lancwen.

Cela faisait maintenant plus d’un an qu’ils combattaient ensemble, et Gabriel n’arrivait toujours pas à comprendre ce qui empêchait Lancwen de le tutoyer. A vrai dire elle ne tutoyait personne se dit-il, un sourire aux coins des lèvres.

_ Un nouveau contrat ?

_ Non, un problème à résoudre. Nous vous attendons au Dropship.

Il l’entendit se retourner et redescendre les escaliers de plastibéton, avec ce pas feutré qui caractérise les combattants de la maison Kurita.

_ Il n’y a jamais de problèmes, il n’y a que des solutions, dit-il, comme si la ville attendait de lui une réponse.

Asturias V, Mars 3049, Salle stratégique de la Primera Brigada

_ Nous ne pouvons laisser les Umayyad se repositionner sans attaquer leur flanc. Ce serait condamner à l’avance notre prochain assaut.

Le Principe Edouardo Estrella fusillait du regard les comandantes présent dans la salle. Tous étaient réunis pour préparer la prochaine attaque sur Galicia dans le cadre de la Reconquista, analysant les données sur la représentation holographique devant eux.
L’intervention du Principe avait fait baisser tous les regards. Il n’était pas bon de se mettre à dos un Principe, surtout quand ce dernier avait les faveurs du Roi.

_ Dressez un plan tactique digne de ce nom, et ne revenez me voir que lorsqu’il sera prêt.

Pour ne pas montrer sa colère, il se retourna pour regarder à l’extérieur, croisant ses mains dans le dos.
Après un instant de silence, il ajouta sur un ton ne laissant place à aucun doute sur les conséquences.

_ Et il vaut mieux pour vous qu’il le soit avant demain matin. Rompez.

La salle se vida rapidement de ses occupants, laissant le Principe seul.
Regardant toujours par la fenêtre l’alignement des troupes sur le tarmac, il identifia rapidement un mech. Son blason était trop particulier pour ne pas être reconnu. L’œil blanc au centre de l’étoile était bien le blason de Gabriel Espedrosa, comandante de l’une des compagnies les plus brillantes de cette Reconquista.
Et il s’agissait bien là du problème. Le Roi l’avait lui aussi remarqué, et Edouardo a bien senti que dorénavant, au moindre faux pas, ce comandante pourrait lui ravir sa place.
Avoir les faveurs du Roi, c’était comme jouer sa vie à un jeu de hasard perpétuel: elle pouvait être perdue à chaque instant. Et ce Gabriel n’avait pas favorisé la chance.
L’assassiner aurait été trop évident, et n’aurait fait qu’accélérer son affectation au front en tant que simple Caballero.
Non, pour se débarrasser de ce problème, il fallait que Gabriel soit discrédité, humilié, déshonoré. Et il n’y a rien de pire que de trahir son Roi. Le Principe sentit ses muscles se relâcher de sa précédente colère. Finalement, l’incompétence de ces autres comandantes pouvait être la solution à son problème.

Asturias V, Août 3049, Cour martiale Royale

_ Comandante Gabriel Espedrosa, vous êtes accusé, de désobéissance à un ordre direct, d’accointance avec l’ennemi et de trahison envers votre Roi, et donc envers Nueva Castille.

Gabriel n’en revenait pas de ce qu’il entendait. Tout semblait irréel.
Dès le début de sa mission d’attaque sur Galicia, la réalité semblait avoir été remplacée par un cauchemar. Cet ordre d’attaque d’une position ennemie, l’arrivé sur un camp de réfugiés civil Umayyad, les échanges par intercom brouillés, puis cette arrivée massive des compagnies Sierra Leone et Extremadura qui décimèrent le camp à coup d’AC10, sans faire la distinction entre sa compagnie à lui et les civils Umayyad…

Tout ressemblait à un cauchemar éveillé. Les mechs de ses Lances explosant sous le feu des alliés, les cris des civils brulant vifs, la vision insupportable de la violence gratuite.
Puis le cauchemar continua, lorsque l’intégralité des 2 compagnies alliées le menaça de leurs armes, seul survivant, lui donnant l’ordre de se rendre sur l’intercom, maintenant redevenu fonctionnel.

L’accusation de trahison fut le coup de grâce. Rien n’avait de sens.
_ Par conséquent, la cour martiale Royale, au nom du Roi, vous retire l’intégralité de vos titres, vos possessions, votre grade et toutes les reconnaissances Royales accordées pour vos hauts faits d’armes.
Le voilà maintenant devant la cour martiale Royale, dépossédé, disgracié, humilié.

_ Cependant, en raison de vos nombreuses victoires, le Roi, dans sa grande bienveillance, vous accorde la vie au prix de l’exil. Un retour de votre part en Nueva Castile signifiera une condamnation à mort immédiate.

Au moins, le cauchemar ne se terminait pas si mal…

Asturias V, Septembre 3049, Spatioport

A croire que le temps lui aussi pleurait son départ. Il n’avait pas plu depuis plus de 5 mois sur Asturias V, provoquant une sécheresse sans précédent.
Mais aujourd’hui, jour de son départ définitif, le ciel s’était remplit de nuages salvateurs pour les récoltes.
Entouré de 5 gardes armés, il avançait dans le long couloir, les poings menottés. Au bout, il pouvait distinguer un homme en uniforme, bariolés de médailles de toutes sortes. En se rapprochant de la passerelle qui reliait le couloir au vaisseau, il reconnut son Principe, Edouardo Estrella.

_ Gabriel, lui dit-il une fois à sa hauteur, je voulais vous saluer une dernière fois avant votre mise en exil.

_ Merci Principe, cela me fait plaisir de savoir qu’il me reste des amis dans l’armée.

Se rapprochant de son oreille, le Principe lui chuchota :
_ Détrompez-vous, Gabriel, je ne fais que m’assurer que vous ne me ferez plus jamais de
l’ombre.

Le Principe recula, un large sourire aux lèvres, savourant la blancheur cadavérique dont s’était teinté le visage de Gabriel.

_ Retenez-bien ceci Gabriel : il n’y a jamais de problème, il n’y a que des solutions !

Cette dernière phrase résonna dans la tête de Gabriel avant de se noyer dans le bruit assourdissant des moteurs du vaisseau.
Elle résonna trois fois…

Solaris VII, 2 Juin 3051, Spatioport

Lancwen se tenait devant le Union Class Dropship « Le Corsaire », bras croisés dans le dos, elle le regarda un instant puis soupira. Son vaisseau jumeau le N3WB était parti depuis bien longtemps maintenant à destination de la périphérie, « une affaire urgente à régler » avait-il dit, et la moitié de l’unité l’avait suivi laissant les officiers s’occuper du reste.

_ Il est temps, j’espère que les autres seront bientôt là.

Alors que les premières gouttes d’une nouvelle averse commençaient à tomber, elle prit le chemin de la rampe du colosse de 3600 tonnes, salua les techniciens occupés à la maintenance et emprunta les corridors qui la mèneraient au poste de commandement.
La pièce par sa fraicheur et son aspect métallique correspondait à merveille avec l’humeur de Lancwen ce matin-là. Elle relut le message reçu la veille pour bien s’en imprégner et préparer cette réunion, puis tapa une courte lettre sur son holocomp avant d’y apposer son empreinte comme signature. Elle déposa ensuite l’instrument sur le bureau de Clem.
_ Clem ne devrait pas refuser cette promotion. Se dit-elle à elle-même avant d’afficher sur l’écran principal de la pièce une carte de la sphère intérieure et de perdre son regard au fin fond de la périphérie.
Elle fut ramenée à l’instant présent par les bruits précipités de bottes dans le corridor suivis très vite de l’apparition d’un jeune homme dans l’embrasure de la porte.

_ Lancwen ? J’ai reçu ton message, que se passe-t-il ?

_ Bonjour Clem, tout d’abord, appose ton empreinte sur ce contrat après l’avoir lu.

Clem prit la tablette, lut rapidement et apposa son doigt à l’endroit indiqué.

_ C’est ce que je pensais. Dit Lancwen avec un petit sourire en coin qui s’effaça dès que Clem leva la tête vers elle.

_ Le contrat n’est pas valide sans la signature du Fox. C’est pour ça que tu m’as fait venir ?

_ Non, nous attendons Gabriel et je vous mettrai au courant.

Clem rongeait son frein en regardant une rediffusion des combats de la veille tandis que Lancwen avait pris place dans son fauteuil en cuir seul véritable luxe de la pièce.
L’attente ne fut pas longue, Lancwen reconnut la démarche martiale caractéristique de l’ex comandante. Le barbu entra peu après.

_ Merci d’être venu Gabriel. Avant de passer à l’ordre du jour, Clem et moi avons une proposition à vous faire. Acceptez-vous de devenir Officier ?

Elle joignit l’acte à la parole en lui tendant le contrat.
Impassible, Gabriel prit la tablette à son tour, et lut son contenu. Relevant les yeux, il regarda tour à tour Lancwen et Clem.

_ Vous savez que je suis avant tout dans une vendetta personnelle ?

_ Tant que vous n'amenez pas l'unité dans votre vendetta, car elle ne concerne que vous. répondit Lancwen, lui jetant un regard réprobateur. J'ai quand même ajouté une ligne dans votre contrat stipulant clairement qu'en cas d'action de votre part auprès d'un représentant de Nueva Castille, l'unité ne saurait être impliquée.

Inspirant longuement, il accompagna son souffle du geste scellant son engagement auprès de l'unité. Il retira son doigt après le bip signalant la bonne prise en compte.

-Voilà, et je tiendrai compte de ton avertissement Lanc' dit-il en souriant.

_ Très bien, maintenant que cela est acté, passons au message que j’ai reçu hier soir et qui a provoqué cette réunion. Vous savez tous les deux que le Fox a réquisitionné notre second dropship ainsi que la moitié de notre unité pour régler une affaire dans la périphérie. Il nous avait demandé, à Clem et moi-même, de s’occuper du reste des pilotes durant son absence. Voilà des mois que nous n’avons pratiquement pas eu de nouvelles de cette expédition. Jusqu’à hier soir ou Comstar m’a fait parvenir ce message.

« A l’attention des membres de la N3WB sur Solaris VII,
Comme commandé par votre commandant lors de son passage sur Delov IV, je vous informe par la présente que votre unité n’a plus donné signe de vie depuis maintenant 4 mois. Le contrat est maintenant rempli par les deux parties.
Veuillez agréer, Mechwarriors, nos sincères salutations.
Demi-Precentor Gavin, Delov IV, Federated Commenwealth »

_ Voilà, notre chef est porté disparu, tout porte à croire que le reste de notre unité a subi le même sort. Que ce soit dû à un saut manqué en Jumpship, une attaque de pirate ou une destruction par l’une des maisons, nous sommes tous trois confronté à un dilemme.
D’une part, nous n’avons les capacités ni les finances pour partir à leur recherche en particulier sans connaître leur destination finale.
D’autre part, nos statuts nous empêchent de nommer un nouveau chef.
Nous voilà donc bloqués. A moins que…

Solaris VII, 23 Juin 3051, Orbite de Solaris VII

Tous les pilotes restant avaient répondu à l’appel des officiers dans les jours qui suivirent. La réunion avait duré plusieurs heures et les conversations avaient été parfois tendues. Le choc de l’annonce passée, toute l’équipe en était venue à l’évidence qui s’imposait, ils devaient s’affranchir du nom actuel pour créer une nouvelle entité, il en allait de la survie même du groupe. Un nouveau nom avait été choisi, un nouvel emblème aussi.
Dans les jours qui suivirent, les officiers s’occupèrent de déposer les statuts officiels aux autorités et de préparer le prochain départ pour la ligne de front avec les clans, seul contrat juteux qu’on confierait à une nouvelle unité.
Alors que le Dropship Corsaire s’élevait dans le ciel vers le point de saut Nadir pour rejoindre le jumpship qui devait les emmener d’abord sur Skye, Lancwen jeta un œil sur les mechwarriors à ses côtés, énumérant dans sa tête chaque nom un par un : Poupoum, Fifise, Acmitel, Gabriel, Clem, Eclipse, Ezelk, Delverge, le cœur des Corsaires était là…

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